Du rapport de la loi Urvoas sur la modernisation de l’élection présidentielle avec la constitution

 

A retrouver aussi dans le corpus de réflexion sur la constitution, dans les pages Opinions de mon site, ici

 

Comme on peut le remarquer dans le texte attaché à cette annexe, la loi Urvoas sur la modernisation de l’élection présidentielle est profondément contraire à la constitution, en plus d’être une insulte aux valeurs démocratiques de la république. D’un point de vue subjectif, le terme « modernisation » aurait dû mettre la puce à l’oreille de chacun, puisque ce terme est depuis longtemps parasité par sa définition officieuse : modernisation, le fait de changer quelque chose afin de l’adapter aux normes souhaitées par l’oligarchie, tout en enrobant ce changement d’illusoire progrès.

(Nul besoin du texte correspondant à l’annexe pour comprendre ce qui va suivre)

 

Tout d’abord, pour mieux cerner le paradoxe de la situation, je rappelle que Jean-Jacques Urvoas, en plus de remplacer Mme Taubira (qui était sans aucun doute favorable à une vraie pluralité des candidats, puisqu’elle l’a été en 2002), était le président de la commission des lois constitutionnelles au sein de l’Assemblée Nationale…Il est donc désormais garde des sceaux, ce qui me pousse à considérer monsieur Urvoas comme un juriste confirmé.

 

Deuxième point qu’il me faut traiter avant d’attaquer le sujet, c’est la faible présence de cette loi dans l’espace public et médiatique. Face à ce qui pourrait s’apparenter à la fois à de l’égoïsme (les grands journaux ne prennent pas parti pour des petits candidats, donc ne sont pas concernés) et à de la censure (Si les français avaient été informés, d’une manière claire et sans un obscur vocabulaire juridique, on peut tabler sur des manifestations d’ampleur ; du moins je l’espère), on ne peut que regretter cette persistance de l’oligarchie dans la méprise de l’information honnête aux citoyens. Un mensonge par omission reste un mensonge. Le traitement réservé à cette actualité juridique aurait dû suivre un traitement plus important.

 

Bien, il est temps de s’attaquer au cœur du sujet, principalement à deux articles.

 

I. Article 3

 

Au fur et à mesure de la réception des présentations, le Conseil constitutionnel rend publics, au moins deux fois par semaine, le nom et la qualité des citoyens qui ont valablement présenté des candidats à l'élection présidentielle. […] Huit jours au moins avant le premier tour de scrutin, le Conseil constitutionnel rend publics le nom et la qualité des citoyens qui ont valablement proposé les candidats.

 

Il est difficile de trouver une quelconque règle dans la constitution qui parle de signatures des maires (ce à quoi l’article fait référence), mais que ce soit une déclaration d’opinion en matière d’élections ou une approbation apportée à quelqu’un, le suffrage correspond autant que la signature à ces qualificatifs. (Provenant de la définition de suffrage du Larousse). Ainsi, on peut mettre cette partie de la loi en parallèle avec l’article 3 de la Constitution :

 

« Le suffrage peut être direct ou indirect dans les conditions prévues par la Constitution. Il est toujours universel, égal et secret. »

 

Ainsi, la signature des maires devenant publique, ce qui peut donc s’apparenter à un scrutin n’est plus secret. Concrètement, mise à part un usage des termes qui empêchent clairement de qualifier ce texte d’inconstitutionnel, il l’est bel et bien si on va au-delà des mots.

Pourquoi de telles phrases me direz-vous, ce à quoi je ferai remarquer que si les maires sont tenus de rendre publique les signatures qu’ils ont apporté, la pression de l’oligarchie ne sera que plus forte, et le filtrage des candidats, que plus important et radical.

 

II. Article 4

 

[…] A compter de la publication de la liste des candidats et jusqu'à la veille du début de la campagne, les éditeurs de services de communication audiovisuelle respectent, sous le contrôle du Conseil supérieur de l'audiovisuel, le principe d'équité en ce qui concerne la reproduction et les commentaires des déclarations et écrits des candidats et la présentation de leur personne.

Dans l'exercice de cette mission de contrôle, le Conseil supérieur de l'audiovisuel tient compte :

 

1° De la représentativité des candidats, appréciée, en particulier, en fonction des résultats obtenus aux plus récentes élections par les candidats ou par les partis et groupements politiques qui les soutiennent et en fonction des indications de sondages d'opinion ;

 

2° De la contribution de chaque candidat à l'animation du débat électoral. […]

 

A cet article 4, on peut immédiatement associer un autre article 4, celui de la Constitution :

 

« Les partis et groupements politiques concourent à l'expression du suffrage. Ils se forment et exercent leur activité librement. Ils doivent respecter les principes de la souveraineté nationale et de la démocratie.  […] La loi garantit les expressions pluralistes des opinions et la participation équitable des partis et groupements politiques à la vie démocratique de la Nation. »

 

Effectivement, l’influence des (grands) partis n’est que renforcée avec cette loi. Le respect de la souveraineté nationale semble bien peu respecté, mais ce n’est pas le sujet.

Non, ce qui est intéressant, c’est le fait que l’article de la Constitution défende la participation équitable des partis et l’expression pluraliste des opinions.

La loi de monsieur Urvoas parle aussi d’équité, mais elle base celle-ci sur les résultats précédents, ce qui va clairement à l’encontre du pluralisme d’opinions (puisque ce sont toujours les mêmes qui persistent dans les média), et sur les sondages, données aléatoires qui sont loin de pouvoir prétendre à une objectivité parfaite, et à toute fonction électorale. La participation équitable n’est donc pas respectée dans les faits, bien que le texte, par sa partie officielle, suive les termes de la constitution.

Tout cela, uniquement pour maintenir un cheptel de partis dans la partie visible des média.

 

III. La décision du conseil constitutionnel

 

Cette loi a subi un contrôle constitutionnel à priori le 6 Avril 2016.

Parmi les passages de cette décision, voici le septième grief :

 

7. Considérant que l'article 3 complète le paragraphe I de l'article 3 de la loi du 6 novembre 1962 pour imposer au Conseil constitutionnel de rendre public, au fur et à mesure de la réception des présentations et au moins deux fois par semaine, le nom et la qualité des citoyens qui ont valablement présenté des candidats à l'élection du Président de la République ; […] ; qu'il prévoit enfin, comme l'avait recommandé le Conseil constitutionnel dans ses observations, que le Conseil rend publics le nom et la qualité de l'ensemble des citoyens qui ont valablement proposé les candidats ; que ces dispositions ne sont pas contraires à la Constitution

 

En résulte donc que la publicité des signatures n’a rien d’inconstitutionnel, ce qui est vrai uniquement en apparence, alors que le conseil pouvait tout à fait interpréter les dispositions de cette loi de manière à les qualifier d’inconstitutionnelles. Néanmoins, on constate que le conseil lui-même est partisan de cette publicité des signatures. Pour l’objectivité, on repassera.

 

Voici maintenant les griefs 9, 10, 13 et 14 (C’est long et complexe, vous m’en voyez désolé)

 

9. Considérant que les premier à quatrième alinéas de ce paragraphe I bis déterminent les règles applicables pendant la période allant de la publication de la liste des candidats jusqu'à la veille du début de la campagne « officielle », comme l'avait recommandé le Conseil constitutionnel dans ses observations ; […] ; que les deuxième à quatrième alinéas confient au conseil supérieur de l'audiovisuel le soin de veiller au respect de ce principe par les éditeurs de services de communication audiovisuelle en fonction, d'une part, du critère de « la représentativité des candidats » et, d'autre part, du critère de « la contribution de chaque candidat à l'animation du débat électoral » ; que le troisième alinéa précise que le critère de la représentativité des candidats s'apprécie « en particulier, en fonction des résultats obtenus aux plus récentes élections par les candidats ou par les partis et groupements politiques qui les soutiennent et en fonction des indications de sondages d'opinion » […] ; qu'il prévoit que les éditeurs de services de communication audiovisuelle respectent, sous le contrôle du conseil supérieur de l'audiovisuel, le principe d'égalité ; […]

 

10. Considérant, en premier lieu, qu'aux termes du troisième alinéa de l'article 4 de la Constitution : « La loi garantit les expressions pluralistes des opinions et la participation équitable des partis et groupements politiques à la vie démocratique de la Nation » ; que le principe du pluralisme des courants d'idées et d'opinions est un fondement de la démocratie ;

 

13. Considérant qu'en prévoyant l'application du principe d'équité au traitement audiovisuel des candidats à l'élection du Président de la République pendant la période allant de la publication de la liste des candidats jusqu'à la veille du début de la campagne « officielle », le législateur organique a, d'une part, entendu favoriser, dans l'intérêt des citoyens, la clarté du débat électoral ; […] que, compte tenu de ces évolutions, en adoptant les dispositions de l'article 4 de la loi organique, le législateur a opéré une conciliation qui n'est pas manifestement déséquilibrée entre les exigences constitutionnelles de pluralisme des courants d'idées et d'opinions et de liberté de communication

 

14. Considérant, en deuxième lieu, que, d'une part, les dispositions de l'article 4 de la loi organique prévoient une égalité de traitement audiovisuel des candidats à l'élection du Président de la République à compter du début de la campagne « officielle » ; que, d'autre part, en prévoyant l'application d'un principe d'équité pendant la période allant de la publication de la liste des candidats jusqu'à la veille du début de la campagne « officielle », ces dispositions permettent que soient traités différemment des candidats qui sont à ce titre dans la même situation ; que cette différence de traitement, justifiée par le motif d'intérêt général de clarté du débat électoral, est en rapport direct avec l'objet de la loi, qui est de prendre en compte l'importance relative des candidats dans le débat public ; qu'il résulte de ce qui précède que l'article 4 ne méconnaît pas le principe d'égalité devant le suffrage qui découle de l'article 3 de la Constitution et de l'article 6 de la Déclaration de 1789 ;

 

Bon, pour résumé, rien de tout cela ne va à l’encontre de la constitution, alors même qu’il est reconnu une différence de traitement entre les candidats. Visiblement, il y a quelque chose qui m’échappe.

 

IV. « clarté du débat électoral »

 

L’argument discutable qui fut servi pour défendre cette loi était souvent proche des termes utilisés par le conseil constitutionnel : clarifier le débat électoral.

Ainsi, sous prétexte de clarté, on peut se permettre quelques entorses à la démocratie, que le traitement de l’élection présidentielle de 2012 par les média préparait déjà. En effet, et j’ai déjà utilisé cet exemple, vous souvenez vous du Monde qui avait diffusé une liste excluant l’un des candidats ?

La décision du conseil constitutionnel m’a surpris, d’autant plus que l’inconstitutionnalité de cette loi de par ses articles 3 et 4 me semblait évidente. Mais je me suis souvenu que l’on parle du conseil constitutionnel, ce même conseil qui avait fermé les yeux sur les fraudes de la campagne de monsieur Balladur en 1995.

 

V. Quels conséquences?

 

Les français se plaignent, à juste de titre, du manque de renouvellement de la classe politique.

Le fait de demander 500 signatures d’élus pour déterminer qui pourra se présenter est déjà une aberration en soi, puisque des élus choisissent, en fonction de leurs affinités politiques, qui les français pourront élire. Les petites candidatures, présentant souvent des projets diversifiés et uniques en leur genre (On pourra penser au programme bonapartiste, qui fera l’objet d’une étude d’ici Janvier ; d’autres ont déjà fait l’objet de mentions de ma part) étaient déjà désavantagés, cela le sera encore plus pour les élections futures par la publicité des signatures.

Enfin, l’inégalité entre les présences médiatiques de chacun était déjà admise les autres années, elle est cette fois-ci encouragée par le Conseil Constitutionnel et par la loi de monsieur Urvoas.

Les candidats qui auront la meilleure visibilité seront donc les plus prisés d’après les sondages et d’après les précédents résultats. On entre ainsi dans un cercle vicieux, puisque ces candidats seront encore plus prisés de par leur visibilité, et auront plus de visibilité aux prochaines élections. C’est une preuve tangible de confiscation de la démocratie par l’oligarchie, et le Conseil Constitutionnel n’a pas été capable de voir cela.

A noter que cette inégalité prendrait fin lors de la campagne officielle. Mais cela ne change pas grand-chose, dans le fond, le fait d’établir une différenciation entre candidats, ne serait-ce que pour quelques semaines, démontre déjà un certain irrespect envers les principes de démocratie.

 

Bref.

Le manque d’objectivité clair de ce Conseil est déplorable, et la promulgation de cette loi, sans doute aidée par les compétences constitutionnelles de monsieur Urvoas, a donc pu se faire au mépris de la Constitution, et avec l’aval du Conseil chargé de protéger cette dernière.

Il est urgent d’agir.

 

europe Union européenne réforme cheminade télévision média

×