L’art de publier des sondages ; analyse pratique (Les français et le libéralisme, IFOP 2014,2015 et 2016)

 

En théorie, il était prévu que sorte fin Mars la fiche de lecture sur un livre de Gaspard Koenig, l’auteur m’ayant considérablement exaspéré lors de son dernier passage dans « On n’est pas couché ». Mais au détour d’une phrase, voilà qu’un sondage cité vient affirmer l’attachement des français au libéralisme. Me voilà donc à la recherche de cette source, qui jaillit chaque année sur commande de plusieurs acteurs. Au-delà d’I-télé pour les deux premières années, les deux autres sont donc :

Ø  L’opinion, journal ouvertement libéral créé par un ancien des Echos et du Figaro

Ø  Génération Libre, lobby libéral créé par Gaspard Koenig himself

Je reviendrai sur ce détail dans la fiche de lecture à venir ; néanmoins, il faut donc garder en tête les commanditaires du sondage, comme à chaque lecture d’enquête d’opinion d’ailleurs. Ici, ce sont des libéraux, qui espèrent je présume témoigner de l’engouement envers le libéralisme. Petite inculture de ma part, j’ignore qui de l’IFOP ou des libéraux a écrit les questions, mais ma réponse se tournerait vers la deuxième solution.

 

Une première question orientée

Première chose, avant les résultats des sondages, ce sont surtout les questions qu’il faut lire. Voici donc la première question :

étude

Il semblerait que ce soit le seul cas où de telles questions insidieuses soient posées, mais c’est significatif.

Qui en effet n’aime pas l’initiative ? La France ? (Bon, là-dessus, on connait les rares à cocher non) L’effort ? L’autonomie ? Au-delà du caractère consensuel de ces questions (qu’on retrouvera quelques années dans un tout autre bord politique, le nouveau mouvement de Nicolas Dupont-Aignan et Jean-Frédéric Poisson), c’est aussi une confusion au niveau des termes qui est provoquée ici : l’autonomie est un terme qui en effet, passé dans le prisme du libéralisme, devient très politisé (Cf. fiche de lecture n°2). La modernité est aussi un mot à double-tranchant. Là où une majeure partie des gens y voient l’innovation, la version plus subjective désigne plus probablement le fait de se rattacher au courant du « progrès ». Trois ans avant Macron, ce sondage avait déjà tout compris. On pourra ensuite citer des termes comme l’Etat-providence qui peuvent revêtir d’un aspect péjoratif (le traditionnel discours sur l’assistanat), et d’autres qui sont mal utilisés (l’Europe est visiblement confondu avec l’UE, cela parait évident).

Restent ensuite deux termes mis en valeur, le libéralisme et l’Etat. Mais qui sait ce qu’implique réellement le libéralisme ? Qui sait ce que représente l’Etat au-delà de la perception d’impôts ?

Enfin, demander un jugement sur « la droite » et « la gauche » n’est peut-être pas indiqué, à la fois pour un sondage sur les valeurs des français, et à la fois pour un sondage commandité par un mouvement se revendiquant d’aucun des deux. (L’habituel libéralisme ni de gauche ni de droite). On notera juste que ces résultats sont ici parlants ; entre 2014 et 2016, les deux notions sont en perte de vitesse. D’autres termes n’ont d’ailleurs pas leur place : que vient faire ici le Crowfunding, financement participatif ne parlant qu’à peu de personnes je pense ?

 

Des résultats mitigés, entre surprises et réponses logiques

Concernant les autres questions, elles demeurent assez classiques et plus honnêtes que la première. Mais puisqu’il s’agit d’analyser le sondage, voici un ensemble de remarques sur chaque partie :

 

Définition droite et gauche

Les partisans d’un libéralisme « ni-ni » auront beau clamer leur position apolitique, force est de constater qu’il demeure attaché à la droite : un quart des sondés font cette identification, et cela n’a pas changé depuis 1999. De 2014 à 2015, on passe à un cinquième des sondés, mais cela demeure important. Concernant la gauche, elle était perçue comme libérale en 1999 pour 15% des sondés, on se retrouve en 2016 à 5%. La nuance sociale libérale (proposée exclusivement pour la gauche) est quant à elle en diminution aussi. Il va falloir m’expliquer ces résultats au vu du gouvernement néolibéral qu’il naissait alors…

L’illusion sociale-démocrate semble avoir connu une forte régression pour la gauche en 2015, où l’on passe de 24 à 17%

Comme pour renforcer ce que j’ai toujours avancé, le souverainisme est très peu rattaché à la droite. (Et même pas proposé à la gauche) Enfin, le gaullisme est en diminution depuis 1999, reflétant la transformation du RPR en UMP probablement.

 

Représentant du libéralisme

2014 a sacré Nicolas Sarkozy comme digne représentant du libéralisme en France. Mais en 2015 (classement toujours dominé par NS), puis en 2016, force est de constater qu’un jeune premier est rapidement identifié comme le meilleur titulaire à ce poste : Emmanuel Macron. Au point qu’en 2016, la moitié des sondés le voit comme le meilleur représentant pour les idées libérales.

 

Interventionnisme étatique

Je reviendrai sur cette notion dans la dernière partie. En attendant, je constate que l’intervention de l’Etat est toujours majoritairement plébiscitée, même si les partisans d’une réduction de l’intervention sont un peu moins d’un tiers.

L’intervention sociale est quant à elle source d’une importante division, et ce en 2014, 2015 ou 2016.

Le secteur public était alors bien défendu dans ce sondage, avec un attachement entre 73 et 69% des sondés aux transports en commun public. (On appréciera ainsi la possible privatisation de la SNCF…)

 

Pêle-mêle, d’autres remarques :

L’idée d’une assurance privée est évoquée, celle du revenu universel aussi; on notera la proximité sur ces sujets de l’ex UMP et du FN

Vers la fin du sondage, une question porte à nouveau sur le fait d’aimer un mot, ce qui n’a pas grand sens. Il fallait alors juger les termes de la devise républicaine, et le mot « liberté » était plébiscité par 50% des sondés. Quelle surprise évidemment : avec la fraternité et l’égalité, il paraissait évident que la liberté était celui qui parlait le plus aux gens. De là à conforter réellement les espérances des libéraux, j’en doute fort.

 

Un sondage à double lecture

Vous l’aurez compris, ce sondage est par ses questions amusant à étudier : certaines sont terriblement populistes, presque rhétoriques. Tout est fait pour s’assurer un soutien aux idées soi-disant libérales, qui sont moins des idéologies identifiables que des termes vagues qui seront nécessairement plébiscités. Inversement, d’autres questions sont moins ambigües, et révèlent alors que des vrais enjeux, tels que la privatisation de certains services, sont loin de faire l’unanimité chez les français (du moins, dans l’échantillon éventuellement représentatif du sondage)

Dénigrer la validité des réponses en faveur du libéralisme pourrait passer pour de la mauvaise foi, mais c’est en tout cas comme cela que j’interprète ces résultats : seuls les questions tournant autour de la sémantique donnent des statistiques en faveur du libéralisme, alors que des idées plus concrètes sont plus tournées vers l’étatisme.

 

Ce sondage n’apporte ainsi pas grand-chose, bien qu’il puisse servir de base aux lobbies qui l’ont commandé pour étayer l’adhésion aux valeurs libérales qu’ils espèrent. Mais la réalité se traduit par un attachement aux services publics, qui suffit à lui-seul pour démontrer l’échec du sondage dans son but premier. Gaspard Koenig citera dans son livre ce sondage (celui de 2014 pour être précis) en affirmant à tort le soutien des français aux idées libérales. Au-delà de la manière dont l’étude est présentée (sans que soit mentionnée sa parenté avec l’auteur), c’est donc bien un usage litigieux qui en est fait.

 

 

sources: 

2637 1 study file2637-1-study-file.pdf (899.95 Ko)

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