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Syrie, Alep: Intérêts et faux-semblants

 

Outré par l’intervention manichéenne de Raphaël Glucksmann dans Quotidien (Yann Barthès), émission que j’apprécie particulièrement quand elle est libre dans son expression, mais moins quand elle suit la doxa habituelle,  j’ai décidé de développer un petit dossier sur la Syrie, afin d’en finir avec la ligne floue défendue par la coalition, une ligne contestable et parfois assimilable à de la propagande indigne. Tentant de récupérer un maximum de sources, tâche difficile vu l’état des média actuellement, je vous présente donc ce petit condensé de la guerre en Syrie.

Syrian civil war map svg

wikipédia syrie

(Source : Wikipédia, situation récente)

 

Rappel historique

 

Dans les années 1920, la France et le Royaume-Uni se partagent le Moyen-Orient. Liban, Palestine, Jordanie, sont ainsi séparés de la Syrie telle qu’elle est actuellement.

Après la seconde guerre mondiale, les syriens demandent leur indépendance, qu’ils obtiendront après des bombardements meurtriers français en 1946. S’en suivront une succession de coups d’état.

Après un rétablissement de la république arabe syrienne en 1961, l’instabilité est toujours présente dans le pays. Suite à un nouveau coup d’état en 1970, Hafez Al-Assad devient chef d’état. A son décès après trente ans de règne, c’est son fils Bachar qui prend les commandes de l’état.

 

Concernant les religions en Syrie, il faut savoir qu’une majorité (70% en 2012) de syriens est Sunnite, au même titre qu’une partie de la communauté kurde syrienne. Néanmoins, les plus hauts dignitaires, tout comme la famille Al-Assad, sont alaouites, courant religieux proche des chiites. Il faut aussi savoir que les alaouites ont été concentrés en Syrie par les français pour éviter l’émergence d’une nation arabe, et que ce courant religieux est traditionnellement laïc et tolérant.

 

La guerre en Syrie, une histoire d’intérêts

 

Nations alliées au côté de la Syrie, une affaire de loyauté

Lors de la guerre d’Irak, les Al-Assad refuse de soutenir l’intervention américaine contre Saddam Hussein, et devient son allié, d’autant plus que ce dernier est Chiite et donc proche de la minorité alaouite. De la guerre d’Irak résultera une spoliation américaine des ressources naturelles de la région (et l’emprisonnement dans des camps américains d’un certain Abu Bakr Al-Baghdadi…). Bachar Al-Assad assiste donc à la chute d’un régime autoritaire (comme le sien) orchestrée par les USA, et au développement d’une instabilité teintée de danger islamiste.

L’Iran, officiellement chiite aussi, est un important soutien au régime syrien, en raison de liens historiques (depuis 1979) et religieux (présence voisine de Damas d’un lieu de pèlerinage chiite, …). Afin d’éviter l’émergence d’un régime potentiellement allié de l’Arabie Saoudite (ennemis de l’Iran) et une déstabilisation de la région provoquée par la chute du régime, telle la chute de Kadhafi, l’Iran soutient donc Bachar Al-Assad.

La Russie est aussi un allier historique, car la Syrie représente son unique soutien dans la région, comme le montre la présence d’une base navale ou d’un commerce historiquement florissant avec le régime (armes, matériel, …). Depuis les guerres d’Afghanistan où l’armée russe du affronter les Talibans alliés aux USA, au conflit tchéchène qui entraina l’émergence d’un danger islamiste aux frontières russes, la Russie se méfie du potentiel développement islamiste de la région, échaudé par l’Irak puis la Libye. A tout cela se rajoute une histoire de pipelines.

En effet, le Qatar et la Turquie avaient pour projet de construire un gazoduc reliant les deux pays, gazoduc traversant la Syrie. Al-Assad s’y est opposé, puisque 2010 marque la signature d’un contrat de 10 milliards de dollars avec l’Iran et l’Irak pour un réseau de pipelines alimentant l’Europe ; réseau soutenu et guidé par Gazprom, compagnie nationale de gaz russe. Le soutien de Poutine à Al-Assad est donc tout à fait compréhensible.

 

Nations alliées face à la Syrie, une affaire de convoitise

Face aux alliés de la Syrie se crée une alliance entre plusieurs pays voisins, aux nombreux intérêts dans la région.

Tout d’abord, comme rappelé précédemment, le Qatar et la Turquie sont en conflit officieux avec la Syrie, d’autant plus que les frères Musulmans, soutenus par les politiques de ces deux pays, ont tout intérêt à voir chuter le régime, pour développer un territoire islamique. Rien d’étonnant donc, à ce que le Qatar dépense plus de 3 milliards de dollars pour soutenir la rébellion. De même, on pourra évoquer une déclaration du ministre qatari de la défense Khaled bin Mohamed al-Attiyah au Monde en date de Mai 2015 : Nous sommes clairement opposés à toute forme d’extrémisme. Mais, en dehors de Daesh, tous ces groupes combattent pour renverser le régime. Les modérés ne peuvent pas dire au Front el-Nosra : « Restez chez vous, on ne veut pas travailler avec vous’. Il faut regarder la situation sur le terrain et être réaliste.

 

La Turquie, avec à sa tête un dirigeant autoritaire et atteint d’une lubie envers les kurdes, voit aussi d’un mauvaise œil la présence kurde dans la région, qui en affrontant essentiellement Daesh, prévoit à terme la création d’un Kurdistan qu’ils méritent selon moi, mais qui affaiblirait la Turquie. Ainsi, Erdogan soutient la rébellion et bombarde parfois les Peshmergas kurdes. De même, un important trafic de pétrole entre Daesh et la Turquie se développe, jusqu’à ce que la Russie y mette un terme en bombardant les points de passage. Il est unanimement admit que les rebelles, même islamistes, sont soignés dans des hôpitaux turques.

 

                     satellite russe im1                                                                                 Petrole daesh

(Images russes montrant une présence importante de camions citernes aux environs de la frontière Turquie/ Syrie)

 

L’Arabie saoudite est moins impliquée dans le conflit syrien, sans doute trop occupée à bombarder les Houthis (chiites) au Yémen. Néanmoins, elle a soutenu certains groupes salafistes (Jaysh al-Islam par exemple) et l’Armée Syrienne Libre.

 

Enfin, derniers acteurs à mentionner, les USA, qui ont tout intérêt à voir le régime d’Al-Assad chuter, afin de trouver en un nouveau régime syrien de potentiels alliés au Moyen-Orient, et d’empêcher les intérêts russes, toujours dans l’optique d’un prolongement de guerre froide.

Mais concernant les Usa et leurs satellites (l’Europe et l’Otan en général), j’y reviendrais.

 

Bref, les intérêts dans la région sont nombreux, et il est plus aisé de comprendre que l’instauration d’une démocratie en Syrie n’est une priorité que pour l’ASL. Le printemps arabe en Syrie semble de même manipulé par ces différents acteurs, ce qui permet de relativiser cette guerre.

 

La guerre à Alep, la vérité mise à mal

 

L’origine de ce dossier est bien entendu la bataille d’Alep, qui fait rage depuis Juillet 2012, et marquée par un nombre infini d’articles se contredisant et faisant parfois office de propagande, que ce soit pro-Otan ou pro-russe. Le 13 Décembre, les rebelles capitulent. C’est donc l’occasion de faire le point.

 

Les rebelles

Les rebelles sont constitués de deux groupes, l’Armée Syrienne Libre, unique représentante de l’opposition en qui on peut avoir confiance (avec les kurdes), et les rebelles qualifiés ou de modérés ou d’islamistes. Ces seconds sont bien plus nombreux, et représentent à Alep une force importante. Parmi eux :

  • Al-Nosra, organisation reconnue comme terroriste par les USA et liée à Al-Qaïda
  • Ahrar Al-Cham, salafistes souhaitant un état islamique
  • Ansar Dine, Ajnad Al-Cham et Jaysh Al-Sunna, aux mêmes objectifs que ci-dessus
  • Liwa Ansar Al-Khalifa, souhaitant un califat islamique

Concernant ces rebelles, d’après l’Observatoire Syrien des Droits de l’Homme (source pourtant admise par les média traditionnels), si la Russie et la Syrie ont tué des civils dans des bombardements et tirs d’artillerie, ils ne sont pas en reste avec environ 650 morts civils entre le 22 Avril et le 22 Août 2016.

Lorsque des périodes de cessez-le-feu étaient conclues, les forces rebelles y ont souvent mit un terme d’après les rapports militaires. Les rapports russes, à prendre avec des pincettes mais sans les écarter pour autant, démontre des tirs fréquents d’artillerie contre des bâtiments civils de la part des rebelles « modérés ».

 

La vérité, première victime des conflits

Les sources concernant Alep sont nombreuses. Du moins, c’est ce que nous serions en mesure d’exiger. Car c’est loin d’être le cas. S’il est évident que les russes et les pro-Assad ne vont publier des rapports qu’en leur faveur, les témoignages de journalistes dans les villes opposées au régime sont tout autant impartiaux et objectifs.

En cherchant bien, il est possible de trouver pourtant des articles divergeant de l’opinion commune. Le journaliste Said Hilal Al-Charifi, couvrant la guerre en Syrie depuis longtemps, nous apprend ainsi la manipulation effectuée quant à la destruction d’un hôpital à Alep.

Celui-ci était géré par Al-Nosra (on sait à qui nous avons à faire) et servait de plaque tournante du trafic d’organes, les syriens étant plus assimilés à des donateurs désignés plus qu’à des patients. De même, en réponse à plusieurs articles évoquant la mort du dernier pédiatre d’Alep, il rappelle la présence d’environs 200 pédiatres à la même date…Enfin, suite à la libération récente d’Alep, il mentionna un énième trucage photo quant à des exécutions de l’armée syrienne à Alep qui seraient des exécutions de Daesh à Palmyre…

 

Difficile aussi d’évoquer Alep sans évoquer les casques blancs. Candidats au prix Nobel de la paix cette année, ils sont réputés indépendants et demeurent une source importante de renseignements pour les média occidentaux. Et pour cause, puisqu’il s’agit d’un groupe financé par le gouvernement américain, comme le prouve un porte-parole du gouvernement us, qui évoque une somme de 23 millions de dollars alléguées par son pays à ce groupe « indépendant ». Pour aller plus loin, les casques blancs ont à plusieurs reprises manipulés l’opinion, en instrumentalisant des tirs d’artillerie rebelles ou en accusant l’ONU de connivence avec le régime (afin d’écarter toute concurrence humanitaire je présume). Des vidéos les montrent aussi armés aux côtés d’Al-Nosra, alors que les casques blancs se disent pacifiques et apolitiques.

 

Il est ainsi dur de prétendre connaitre la vérité sur ce qui se passe à Alep et en Syrie. Mais il est possible et conseillé de prendre du recul et de croiser le plus de sources, en gardant en tête les intérêts de chacun (même des média).

 

La guerre, deux poids deux mesures

 

Il est évident que les bombardements russes à Alep et dans le reste de la Syrie demeurent préoccupants par leur teneur meurtrière. Néanmoins, comme j’ai déjà pu le citer plus haut, les rebelles sont tout autant coupables de l’escalade de la violence à laquelle nous assistons.

 

Mossoul

Les américains et la coalition ont à plusieurs reprises bombardé Mossoul en Irak, ville aux mains des islamistes. Vous me direz, c’est normal. Oui, si on écarte les civils utilisés comme bouclier humain et ceux qui vivent là-bas.

Alors quoi, les bombes de nos alliées seraient-elles performantes au point d’épargner les vies innocentes ?

 

Guerre d’Irak

Toujours en Irak, une décennie auparavant. C’est déjà la guerre ; une guerre identique à la guerre en Syrie : un régime autoritaire, des allégations douteuses, des intérêts énergétiques et religieux, et le monde entier concerné. Les USA, en bons interventionnistes, plongeront ainsi le Moyen-Orient dans une nouvelle période d’instabilité, dans laquelle Daesh trouve une de ses racines…

Les remarques à l’encontre des USA étaient légions, si mes souvenirs sont bons. Mais quid de sanctions ? Quid des conséquences ? Maintenant, les russes interviennent pour empêcher la chute d’un régime, et la communauté internationale devrait les traiter différemment ? Est-ce ainsi que l’on fait de la diplomatie ? On cherche un bouc émissaire (pour rappel, la Russie est accusée d’avoir fait élire Trump) et on se décharge de toute responsabilité et tout jugement ?

 

Yémen

Comme je le disais au début du dossier, l’Arabie Saoudite est actuellement occupée au Yémen. Le dossier Yéménite est compliqué, je ne souhaite pas entrer dedans, mais il faut savoir que l’Arabie Saoudite sunnite combat les Houthis chiites (encore, me direz-vous, un conflit Sunnite/Chiite). Je ne me positionne pas pour un camp ou l’autre, mais ici aussi, les bombardements sont légions, sans que la communauté internationale s’en émeuve. (Si, la Russie…Mais on sait très bien pourquoi). Guidé par leur idéologie extrémiste, les saoudiens en profitent pour bombarder des lieux de culte anciens et des ouvrages historiques, toujours sous couvert de leur opération pour restaurer le régime. Août 2015 sera meurtrier pour les civils yéménites, touchés à mainte reprise par les bombes de la coalition.

 

Caen, 1944

Lors de la libération de la France en 1944, Caen a fait l’objet d’un pilonnage intensif. La ville a été libérée, mais à quel prix ? Environ 2500 civiles tués pour 600000 bombes. Les bombes étaient anglaises et américaines. Certains devraient s’en rappeler.

 

Conclusion

 

La dissimulation des intérêts des protagonistes, la manipulation médiatique et l’indignation sélective démontre qu’il convient de prendre le dossier syrien avec des pincettes, et de relativiser tout cela. La rapidité de l’information rend la guerre plus terrible encore, mais il en a toujours été ainsi.

Si aux 19ème et 20ème siècles, l’occident n’avait pas partagé le Moyen-Orient de manière aussi comptable et absurde, nous n’en serions peut-être pas là. Mais on parle aujourd’hui de 2016, et la bataille d’Alep marquera assurément les esprits. Il est cependant regrettable qu’elle le fasse à travers une désinformation médiatique conséquente et un manichéisme poussé à son paroxysme.

 

Il serait temps de prendre du recul et de cesser de penser uniquement par les sentiments lorsqu’il s’agit de conflits. Ces derniers sont toujours abjects pour la race humaine, les victimes restent autant de gâchis que le patrimoine historique détruit, mais les enjeux de la guerre en Syrie ne s’arrêtent pas aux vies humaines. C’est la triste réalité des choses.

 

Iraq syria map

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