Conception politique: #3, L’Etat, la liberté et l’intérêt général

 

Avancer contre vents et marées en politique est une expérience qui demande une importante confiance en ses idées. Autant dire à quel point je reste attaché à l’étatisme, doctrine politique souvent peu comprise, et redoutée comme la peste. Dans notre monde actuel, le libéralisme semble être une évidence. Après tout, il n’y pas d’alternative comme disait l’autre. Pour les politisés du monde anglo-saxon, l’appréciation est encore pire :

Aux Etats-Unis, la liberté a été érigée en unique principe de vie, expliquant sans problème la culture de l’individualisme qui sévit là-bas. Si on écoutait les libéraux de ces pays (Le Royaume-Uni, l’Australie, …) la seule alternative au libéralisme dans ce microcosme demeurerait le communisme, alternative qu’il serait évidemment judicieux de rejeter au regard de l’échec de l’URSS. Le monde selon eux se partagerait donc encore entre le libéralisme capitaliste et le communisme, doctrine que beaucoup pensent avoir vu à l’œuvre sous Staline ou Mao.

 

Ce raisonnement binaire a participé au fil des années au développement du Maccarthysme, qui mine de rien était une doctrine très étatiste dans sa manière de gérer les opinions politiques divergentes. Mais pire encore, cette opposition de mauvaise foi permit rapidement de discréditer les étatistes de tout bord. La droite est ramenée au fascisme, alors pourquoi ne pas ramener la gauche au communisme après tout ? Les décennies passent, les gaulliste de comptoir (comprenez les républicains qui n’ont rien compris au gaullisme) crachent sur l’étatisme qui était pourtant l’apanage du CNR, la droite en général réprime l’anarchie tout en faisant sa promotion au niveau économique, et les socialistes cèdent aux sirènes libérales. Comment voulez-vous défendre alors l’étatisme souverainiste qui caractérise mon idéologie politique, lorsque cette bataille semble perdue d’avance ?

C’est pourtant ce que je fais depuis deux ans, et ce que je vais faire dans les lignes qui suivent.

 

 

La défense de l’intérêt général et populaire, court état des lieux

 Pour défendre un mode de pensée politique, il faut en général définir son utilité. Qu’apporte donc l’étatisme, l’interventionnisme d’état ? (attention, le terme interventionniste renvoit à l'interventionnisme économique)

A cette question, les libéraux avanceront qu’ils n’apportent qu’une irruption de l’Etat dans le marché économique, censé se réguler de lui-même. Moi, j’avancerai que l’interventionnisme permet tout simplement à l’Etat d’accomplir sa mission : défendre l’intérêt général, et l’intérêt national qui en découle.

L’intérêt général, de par l’interventionnisme, voit ses nombreuses composantes assurées. Ainsi, on songera aux domaines de l’éducation et de la santé en priorité : l’école est publique, donc accessible à tous sans condition de moyen. L’hôpital est public, donc accessible à tous de la même manière, et la sécurité sociale, dieu merci, nous épargne les sommes faramineuses que demandent les dépenses de santé à l’étranger. En effet, il suffit de se poser une question très simple ; aimerions nous nous endetter sur dix ans pour payer l’université  à l’ainé, tout en ouvrant un autre emprunt pour soigner la jambe cassée du cadet ?

Dans le domaine du travail, la présence de l’état est encore plus remise en question, alors qu’elle devrait être encore plus nécessaire avec la mondialisation. En effet, avec la concurrence de pays sans droit des travailleurs aussi développé que chez nous, certaines entreprises (les moins à plaindre financièrement parlant en général) sont tentées par un traitement des salariés des plus discutables. Sans Etat pour s’assurer de bonnes conditions de travail, le salarié aura tôt fait de se retrouver avec les mêmes droits qu’un travailleur textile en Asie de l’Est.

 

Toujours sur la question économique, les mesures protectionnistes sont celles qui peinent aujourd’hui à être appliquées, quitte à les qualifier d’actes de guerre économique (Par monsieur Le Maire par exemple la semaine dernière). Pourtant, vouloir sauvegarder l’emploi sur son propre territoire est une action des plus logiques, et c’est même recommandé. Ce protectionnisme apparait aux premiers abords comme barrière à tout échange commercial, hors, ce n’est pas une nécessité. Rien n’empêche un pays de commercer avec un autre en dépit des taxes douanières. Il faut en effet prendre en compte l’existence de savoir-faire nationaux, qui s’exportent sans problème puisque présentant un caractère unique et non concurrencé.  Afin de favoriser des échanges de ce type, les mesures protectionnistes peuvent d’ailleurs être sélectives (sauf dans le cadre actuel des traités hélas) et épargner les produits introuvables au sein du pays. (Nourriture étrangère spécifique par exemple)

L’écologie enfin est aussi un domaine où l’Etat peut jouer un rôle important par la taxation écologique de produits importés de très loin sans réel besoin, essentiellement pour ceux qui transiteraient par des voies routières. Le domaine écologique est d’ailleurs très proche de la sécurité intérieure et extérieure, ce qui en ferait un domaine régalien au même titre que l’armée ou la justice

 

 

Toutes les actions présentées précédemment sont des évidences pour quiconque se préoccupe de la place de l‘Etat dans nos sociétés mondialisées. Mais ce rappel était nécessaire. Il permet de remettre dans l’esprit des gens que la disparition de l’Etat dans ces secteurs serait un échec. Une seule mesure libérale appliquée à la place, et ce sont les conditions de vie des populations qui se voient négativement impactées.

Alors que certains proposent d’aller plus loin dans la privatisation et le recul de l’état (revendiquant ainsi malgré eux les débuts caractérisés de l’anarchie), j’envisage l’inverse et avance quelques mesures qui me semblent intelligent d’appliquer dans les années à venir

 

Nationalisations et protectionnisme, la feuille de route que redoute la mondialisation

Alors que certains secteurs sont dieu merci épargnés par la fin de l’état-providence, d’autres restent encore à conquérir.

Le premier et pas des moindres perd du terrain depuis que nos voisins anglo-saxons ont franchi le pas sous les noires années du Thatchérisme. Le secteur ferroviaire est en effet en grand danger, et comme le rappelait Olivier Besancenot sur une chaine publique la semaine dernière, ce danger ne date pas d’hier. Tout est fait pour faire passer ce domaine sous propriété d’entreprises sans scrupules, privant ainsi le domaine public d’une nouvelle voie de communication après la perte des autoroutes. Qui dit fin du caractère public des services ferroviaires dit par exemple impossibilité pour l’état de développer une politique d’intégration du territoire. Peut-être pouvons-nous aussi craindre des obstacles au développement du ferroutage.

Ainsi, pour remédier à ce problème, et dans le cas où ces secteurs seraient renationalisés, il faudrait constitutionnaliser le caractère public des voies de circulation. (Et au passage faire de même avec les ports, les aéroports et autres terminaux de ce genre)

 

Le deuxième secteur que j’aimerai voir pris en charge par l’état serait le développement sain de la jeunesse, et pas uniquement avec l’école. En effet, et c’est d’actualité, la question des écrans reflète assez bien le déficit éducationnel dans les générations actuelles de parents. A l’issue de débats sur les réseaux sociaux (là où j’ai paradoxalement commencé sur internet), il est effarant de constater la haute permissivité de certains, qui considèrent que mettre un enfant devant la télé à cinq ans, c’est ne pas l’isoler du monde…Ne parlons pas non plus des écoliers du primaire qui fréquentent déjà Facebook et YouTube. Les conséquences de ces actions ne sont pas nécessairement désastreuses, mais la probabilité qu’elles influencent négativement le développement de ces futurs adolescents n’est pas à négliger. En restant sur les écrans, difficile aussi d’ignorer le problème posé par la télé-réalité, sa suppression incarnant un de mes chevaux de bataille. Que la chaine proposant le plus ce genre de contenus soit la plus regardée par les jeunes n’est pas une surprise, et c’est d’autant plus alarmant. A ces problèmes se couplent les problèmes traditionnels que traversent les parents et leurs enfants, dont l’abandon psychologique reste le plus problématique.

Les prérogatives nécessaires à l’octroi d’une bonne éducation doivent être décidées prudemment. L’Etat ne doit pas pouvoir manipuler son peuple à coup de propagandes et d’éducations fascisantes. Mais des contrôles d’aptitudes à la parentalité effectués à plusieurs étapes de la vie de l’enfant peuvent déjà faire beaucoup pour cette éducation en perdition. De même, le CSA pourrait sévir à l’encontre des programmes médiatiques, et ce même sur YouTube. Finalement, bien que l’idée d’imposer cela à l’échelle nationale me dérange un peu, je pense que l’interdiction des portables au collège n’est pas un mal.

 

L’intérêt général se verrait donc mieux défendu avec ces deux exemples, mais l’intérêt du pays peut aussi se voir servit par une meilleure approche des secteurs stratégiques.

Ainsi, notre armée se retrouve équipée de matériel étranger, notre informatique dépend de Google, et cela nous place à la merci de n’importe quel espionnage. Plusieurs mesures pourraient être envisagées.

Tout d’abord, il faudrait développer une industrie de défense exclusivement française. Et cela concernerait les armements et les véhicules. L’Etat peut ici intervenir à plusieurs degrés : si la création d’une marque industrielle nationalisée dédiée à ce secteur peut effrayer certains, l’existence d’un marché public réservé aux marques françaises (qui construisent en France) peut être déjà un bon début. Le domaine informatique ensuite est plus facile à administrer, en raison de la qualité de nos ingénieurs dans les domaines concernés. Cela ira d’un moteur de recherche, d’un système d’exploitation, à des téléphones sécurisés dédiés aux services de l’Etat. Pourquoi ne pas d’ailleurs en profiter pour investir dans Dailymotion, qui serait provisoirement nationalisé le temps de son développement ?

 

 

Certes, ces mesures comme celles déjà existantes sont des aberrations pour le libéral de base, et pourrait même faire fuir le citoyen moins politisé devant de tels irruptions étatiques. Mais pourtant, elles vont dans le bon sens et permettent à l’Etat-providence d’agir en faveur de son peuple et de se donner les moyens d’exister efficacement.

 

Une avancée de l’Etat synonyme de développement moral, sociétal et économique

Si l’Etat se trouve de plus en plus omniprésent, comment encore gagner de l’argent ? se demanderaient probablement certains. Ne sombrons-nous pas dans un communisme de bas-étage ? se diraient d’autres. Mais rien de tout cela n’est rationnellement envisageable. Ce n’est pas parce que des limites existent que la liberté a disparu. D’ailleurs, celle-ci n’a de sens que lorsqu’elle est confrontée à des limites.

Pour les questions de l’école et de l’hôpital, l’idée d’en faire des entreprises à but lucratif est impensable. Il existe certes des écoles privées et des cliniques privées. Leur utilité peut-être avérée actuellement, car l’un apporte une éducation scolaire de meilleure qualité (j’y ai effectué mon secondaire, je peux en témoigner) et l’autre des soins accompagnés de moyens plus importants. Mais il persiste un problème : seuls ceux qui ont l’argent  peuvent bénéficier de ces établissements. A ce sujet, un status quo reste la meilleure solution en attendant d’améliorer considérablement les établissements publics. Ce qui reste un privilège de classe doit tôt ou tard disparaitre, mais ce serait provoquer des débats qui ne doivent pas encore avoir lieu.

 

Nos salariés qui se voient protégés par l’Etat des dérives capitalistes, voir les chômeurs qui se voient aider en attendant de trouver un travail, peut poser problèmes à des partisans de la fin de l’Etat-providence. Mais si l’unique but de ces gens, en théorie, est de gagner de l’argent, les actions de l’Etat ne sont pas des obstacles. Premièrement, c’est un constat, les entreprises qui délocalisent sont celles qui ont en général des résultats financiers prometteurs, contrairement à des PME qu’on prétend avantagées par les délocalisations. La fin de ces délocalisations n’est donc pas une source d’appauvrissement. Deuxièmement, le développement d’une industrie qui protège le salarié et qui reste en France réduirait le taux de chômage et permettrait des conditions de vie dignes, ce qui aurait pour résultat une hausse de la consommation (plus sans doute que de l’épargne) et donc des rentrées d’argent dans les entreprises. Peut-être que les actionnaires verraient leurs parts légèrement baisser, mais s’en plaindre relève d’un égoïsme pur et simple (d’ailleurs, puisque je suis partisan d’un actionnariat salarié, la question ne se pose pas). Enfin, de meilleurs conditions de travail permettent une meilleure productivité, un meilleur enthousiasme, et pourraient pacifier les rapports entre patronat et syndicat.

Se présente aussi l’idée fausse selon laquelle le protectionnisme reviendrait à se couper du monde. Il affaiblirait les états qui verraient une baisse des exportations et une hausse du prix des importations. Si la seconde est plutôt logique, elle est biaisée en ce que de nombreux pays pratiquent déjà le protectionnisme. Quant à la baisse des exportations, c’est oublier que le côté unique de nombreux savoir-faire permet de maintenir ces exportations. Si un fruit d’un pays X ne peut être produit chez nous, le taxer pour protéger notre industrie est absurde. Le raisonnement s’applique donc dans des secteurs stratégiques où la France produit déjà des produits susceptibles d’être concurrencés. Inévitablement, ces derniers auront plus de succès face aux rivaux taxés, ce qui permettrait du profit. Nulle question donc d’appauvrir les entreprises et l’Etat.

Les derniers thèmes sujets à nationalisation et étatisme relèvent enfin plus de la réflexion morale qu’économique. Mais s’il s’agit de parler uniquement argent, la nationalisation de toutes les voies de circulation reviendrait moins chère aux usagers, et ne provoquerait aucun appauvrissement conséquent à des entreprises qui, de manière générale, sont loin d’être des PME. On présente ces dernières comme grandes perdantes de l’étatisme et du protectionnisme, mais ce sont en général les grandes firmes qui remportent les marchés concernés, ce qui montre bien l’hypocrisie de ces détracteurs.

 

 

Auteur de grands projets de développement et d’un encadrement sain d’une société saine, l’Etat interventionniste idéal, par ses prérogatives, offre une vie plus stable au peuple dont il a la protection. Maitre de son destin économique et de son espace public utilisable par tous, il n’empêche pas l’enrichissement mais limite celui-ci à l’enrichissement moralement acceptable. Le salarié, le fonctionnaire, le citoyen, chacun peut s’épanouir sous une politique étatiste. Le tout est d’avoir un gouvernement guidé uniquement par l’intérêt général, qui puisse encadrer la vie du pays de manière à le faire prospérer de manière durable.

 

 

 

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