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Conception politique #4, héritages et transmission

 

Depuis le décès d’un artiste très médiatisé en décembre dernier, la question d’un héritage important fait débat. D’un point de vue politico-sociétal, cela a même été traité dans Marianne récemment. Sous plusieurs facettes de la transmission, voici donc des réflexions succinctes sur les trois composantes de la notion d’héritage : le familial, le matériel et le civilisationnel

 

L’héritage familial, la recherche généalogique

Féru de généalogie, je ne pouvais passer à côté de cet aspect souvent mis de côté. Lorsqu’on parle d’héritage, on pense souvent à des sommes d’argents, éventuellement à une maison ou un appartement. Mais dès lors qu’on nait, on hérite déjà d’un capital immatériel très conséquent : celui de ses gènes, de son histoire familiale.

Pour certains, la généalogie ne sert pas à grand-chose, si ce n’est se projeter dans le passé et dans ses fantasmes. A-t-on des ancêtres connus ? Descendons-nous uniquement d’européens ? Cette curiosité n’est pas toujours bien vue, les personnes plus terre-à-terre se contentant de regarder de haut cette pratique souvent réservée à tort à ceux qui sont à la retraite. Mais recevoir ces informations ne relèvent pas uniquement du domaine de l’anecdotique. Elle permet de se positionner par rapport à l’Histoire de son pays, et de développer un roman familial qui puisse apporter une base stable à la famille que l’on aspire à fonder à son tour.

La généalogie est souvent un loisir très développé dans les familles aisées, voir nobles, et à raison : fut un temps, seuls ces derniers tenaient à jour un arbre qui remontait pour la plupart jusqu’au 11ème siècle. Mais considérer qu’il faille se refuser cette passion pour des questions d’argent ou de mentalité n’est pas une bonne chose ; à mon sens, chacun devrait faire l’effort une fois de se demander qui étaient ses ancêtres, où vivaient-ils,…Certes, ce sont des enquêtes fastidieuses, mais le cheminement ne peut être que bénéfique pour le développement intellectuel.

La généalogie est aussi un bon moyen de relativiser sur sa situation personnelle. D’après des études scientifiques, qui sont chez moi confirmées généalogiquement, une part insoupçonnée, si ce n’est 90% des européens, descendrait de Charlemagne. Puisse cette information donner du baume au cœur à ceux qui désespèrent de la panne de l’ascenseur social.

Néanmoins, cela ne doit pas être un prétexte pour dénigrer autrui, voir le discréditer en raison de ses origines. Par ailleurs, la généalogie par ADN, quant à elle, est une méthode dont il faut aussi se méfier, permettant le stockage de données très sensibles, bien plus qu’un simple arbre reliant des gens entre eux.

 

En tant qu’Alsacien, une bonne part de mon arbre se trouve liée aux pays germaniques, mais s’arrête souvent une fois la barre du 18ème siècle franchie. Ainsi, cela pourrait sembler anodin dans un programme politique, mais j’envisage sérieusement de favoriser ce domaine de recherche, à travers un travail administratif de qualité fourni par l’état, comptant informatisation des données d’Etat-civil et coopération accrue avec les pays voisins. En France, l’usage de telles données n’est pas payant. Mais en Suisse, il faudra débourser plusieurs dizaines d’euros, et pour la Russie, il faudra compter l’exigence linguistique.

Une fois le citoyen conscient de sa généalogie, celui-ci pourra constater certaines racines de la France comme l’agriculture : pour une majeure partie de la population, la paysannerie représente une part non négligeable de l’histoire familiale. Rien que cette information permettrait déjà de réfléchir différemment sur certains débats.

 

L’héritage matériel, l’entretien du souvenir

Une fois construite la base stable que forme une famille, une consolidation est nécessaire pour perpétuer cette famille sur les générations à venir. C’est pour cela qu’il faudrait militer pour de meilleures conditions de vie dans les pays étrangers, au lieu de prôner un internationalisme béat.  Il n’y a rien de plus terrible que de devoir quitter des terres avec ses enfants à cause de la guerre. L’accueil doit se faire en mêlant habilement empathie et pragmatisme, mais empêcher les causes de départ est une priorité, que beaucoup ne comprennent pas dans ce monde où le sédentarisme se trouve parfois en perte de vitesse. (Le nomadisme n’est pas nécessairement un éloignement de toute attache. Mais le nomadisme moderne se fait beaucoup de manière individuelle, contrairement au nomadisme tribal qui emporte avec lui l’histoire de la tribu)

La première condition pour consolider la base familiale est l’existence d’un foyer sûr et humainement gérable. Selon les moyens de chacun, cela peut être un appartement ou une maison, même si la croissance démographique pousse hélas à la généralisation des appartements. On approche du domaine de l’urbanisme sur cette problématique, je ne fais que la survoler. Mais dans ma grande naïveté (et conscient de l’ampleur de la précarité en France), je ne peux que souhaiter à chacun, à chaque famille, d’avoir une maison familiale qui puisse se transmettre de génération en génération.

Le premier héritage est donc le logement du défunt. C’est ce legs qu’il faut favoriser en premier, que ce soit dans un but de conservation ou de revente. La question des droits de succession se cumule avec des frais de notaires, et l’abattement se trouve parfois insuffisant pour une succession de parent à enfant. Il faudrait donc penser une refonte partielle du traitement financier réservé à l’héritage immobilier.

L’autre part d’héritage qu’il faut veiller à transmettre repose sur deux éléments, les collections et les souvenirs familiaux. Les collections concernent une part restreinte de la population, et entre une collection de timbres et une collection de tableaux, la différence est significative. Mais les souvenirs familiaux, toute famille devrait s’en préoccuper. Cela peut être une bague, des albums photos, voir des objets ayant appartenus à des ancêtres et se transmettant au fil des descendances. Il est important de s’assurer de ce phénomène de transmission. Cela renforce l’idée que l’on ne vient pas de nulle part, cela apporte une part physique à des générations aujourd’hui disparues. A ce titre, on peut aussi encourager le développement de narration familiale couchée sur le papier. Pouvoir recueillir des souvenirs sous l’occupation risque d’ici une dizaine d’années de ne plus être possible.

Il reste enfin un dernier héritage matériel à traiter, probablement le moins joyeux : la sépulture du défunt. Ne pas pouvoir se recueillir sur une tombe décente doit être un moment cruel pour le parent. L’état de délabrement de certains cimetières est préoccupant, surtout dans les zones mal desservies du pays. Lors de mon voyage l’été dernier dans la région nivernaise, j’ai eu la chance de trouver la tombe d’un trisaïeul. Mais cela relevait du miracle, tant les cimetières de ces petits villages sont laissés à l’abandon, faute de moyens et de personnels.

L’Etat a le devoir d’aider les familles à se structurer. La question des taxations d’héritage en fait partie, mais il faudrait peut-être envisager des soutiens pour les enterrements, l’entretien des tombes, voir la défiscalisation d’une part financière de l’héritage qui serait attribuée à ces questions-là.

 

L’héritage civilisationnel, la pérennité des civilisations humaines

 

Voilà que nous arrivons à la partie la moins populaire au sein de la gauche internationaliste, et probablement la plus prisée au détriment du reste au sein de la droite conservatrice. Pour les premiers, les civilisations n’ont que peu d’intérêt, visualisant un prolétariat et des classes sociales internationales, au-delà de la nation (qui constitue parfois pour eux une insulte). Pour les seconds, le rapport à la civilisation est déjà plus sain, mais relativement hypocrite dès lors qu’ils défendent un mondialisme par essence anti-civilisation. Comment faudrait-il alors aborder cette question ?

La civilisation est d’abord selon moi ce qui nous différencie socialement des animaux. Elle se constitue au fil des siècles, en reposant sur plusieurs piliers : l’Histoire, la culture, l’emplacement géographique, et les gènes dans une moindre mesure. L’Histoire est évidemment le pilier principal, et c’est un pilier qui se recompose perpétuellement. A ce titre, plaider pour une épuration ou un refus intégral d’accepter des populations d’autres civilisations, c’est tout simplement absurde. Les intégrations de populations sont des faits qui remontent à plusieurs millénaires. Comme avancé précédemment, il n’est pas question pour autant d’inciter des millions de gens à venir en Europe ou en France ; comme je dis toujours, l’immigration n’est ni une chance, ni un malheur, c’est un fait.

Toute civilisation laisse des traces. En France, nous pouvons prendre en compte les châteaux par exemple, qui constituent une importante par de notre patrimoine. Ce constat doit cependant être nuancé : des avancées d’aujourd’hui ou du siècle passé, lesquelles pourraient laisser des traces tel un aqueduc romain ou un château de la Loire ? Deuxièmement, il est amusant de constater que ce sont pour le patrimoine matériel les classes les plus riches qui laissent des traces, là où l’héritage des classes moins aisées se situe dans les habitudes de vie. Pour moi qui ait eu la chance de visiter plusieurs trésors royaux (ceux de la Bavière récemment) ou quelques châteaux, force est de constater qu’à une certaine époque, les « riches » s’enrichissaient certes sur le dos des autres (pour une bonne part d’entre eux), mais faisaient de leur argent des œuvres d’art. Les cabinets de curiosité et le collectionnisme émanaient ainsi des classes supérieures, mais ont apporté énormément d’un point de vue civilisationnel, en remontant à la surface les traces des nations passées. Si avec ce constat, nous ne pouvons déterminez l’intérêt de mettre fin à ces clivages…

L’humanité, si tentée qu’on puisse l’identifier comme une entité homogène, est un extraordinaire ensemble de civilisations. Chaque continent possède son lot de merveilles, et chacun est accompagné de drames historiques qu’il faut garder en mémoire. Mais d’un point de vue culturel, les siècles passés ont été fantastiques. Avec la culture de l’immédiat, de l’individualisme et du dématérialisé, il est probablement difficile de laisser un héritage à la hauteur des civilisations précédentes, sinon un immobilier éventuellement ambitieux et une révolution techno-écologique qui pourrait marquer l’humanité en bien comme en mal. Mais nous pouvons toujours suivre une ligne politique de bon sens : perpétuer la sauvegarde du patrimoine historique, et s’arranger pour que l’humanité ne disparaisse jamais, maintenant la présence de témoins pour notre civilisation. C’est là tout le triste paradoxe : si l’on se projette dans un futur lointain, le seul moyen de perpétuer la civilisation humaine pourtant attachée à la Terre sera peut-être de la quitter. Il ne resterait alors plus que des souvenirs historiques et des millions de documents l’attestant, faisant de cet héritage le plus lourd sans doute à recevoir.

 

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