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Ukraine-Russie, devenons-nous fous ou cons?

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Si vis Pacem, Para Bellum

Des dérives médiatiques sur la guerre en Ukraine et autres considérations sur le futur militaire de la France

 

Le 24 février 2024, nous fêterons les deux ans du conflit le plus important sur le continent européen depuis des décennies. Au-delà du fait de voir s’affronter ainsi deux anciens frères que la guerre froide, le banderisme puis les magouilles américaines ont contraint de s’éloigner, ce conflit a surtout mis en lumière les pires défauts de l’être humain.

 

Ici, le but n’est pas de revenir précisément sur les retombées humaines et directement matérielles de ce conflit. On connaît tous les conséquences d’une guerre. Ses victimes militaires et civiles, ses villes rasées, ses pays dévastés. Non, la Russie n’avait pas à s’aventurer ainsi sur le territoire souverain ukrainien. Rares sont ceux à concevoir que la Russie était dans son bon droit à intervenir et à envahir la totalité de l’Ukraine. Était-ce d’ailleurs même son objectif ? Ici donc, il n’est pas question de venir faire du signalement de vertu en déclarant que Poutine n’est qu’un méchant qui a fait du mal. Déjà parce que cela n’avance à pas grand-chose, et qu’à part les philosophes médiatiques, personne ne doit se croire pertinent en le répétant en boucle. Ensuite, parce qu’il n’est pas le seul acteur de ce conflit.

 

Une légende populaire veut que Poutine, tyran seul aux manettes, déplacerait ses troupes et aurait porté toute la guerre sur ses larges épaules. En vérité, l’impopularité de la guerre au sein de la Russie doit être relativisée. Le scénario romantique selon lequel le dictateur imposerait ce conflit à toute une population qui y serait opposée tend à la naïveté. À vrai dire, de mon point de vue, il existe beaucoup moins modéré que le président russe. Si lui réussit encore à apparaître maître de ses propos, son collègue Dmitri Medvedev est bien plus enclin à mettre de l’huile sur le feu, à grand coup de tirades anti-occident et anti-France très remontées et belliqueuses. Que dire sinon de ces parlementaires de la Douma qui plaideraient presque pour un anéantissement nucléaire ?

Il existe même un amalgame selon lequel un opposant à Poutine serait nécessairement opposant à la guerre, ce qui est là aussi une vision naïve des choses. Il ne me semble pas que le parti communiste russe s’y soit opposé à l’époque.

Tout ça pour dire dans un premier temps que personnifier ce conflit avec Poutine est une erreur.

 

Je ne suis pas ici pour encenser le pouvoir russe. D’ailleurs, sa politique intérieure ne me parle pas plus que ça. Je ne considère pas le pouvoir russe, et encore moins la Russie, comme un ennemi, en effet. Afin d’avancer honnêtement sur ce chemin, je tiens à admettre que je suis plutôt favorable à une Crimée russe, bien que je déplore la violence des séparatistes russes en leur temps. Ce soutien critique s’explique par mon intime conviction que la Crimée n’avait plus sa place en Ukraine. Le référendum qui s’est tenu, référendum à l’organisation illégale, ne rend pas plus caduc ses résultats. D’ailleurs, on rappellera qu’une enquête américaine indépendante a abouti aux mêmes conclusions, démontrant que les résultats du référendum apparaissaient cohérents avec la réalité des opinions des Criméens.

Je ne mets pas non plus mon veto à un Donbass russe, bien que je ne me sois moins renseigné sur cette situation précise. Il est quand même pertinent de rappeler à quel point la chute de l’URSS a été très mal dirigée, du moins aussi mal que l’a été la réconciliation des deux Allemagnes (mais ça c’est un autre sujet). Toujours est-il que la réalité russophone et russophile de certaines zones en Ukraine ne doit pas être balayée, notamment au regard des lois visant à réduire cette culture russe qui avaient tant provoqué de problèmes il y a dix ans.

 

Cela dit, j’ai beaucoup de choses à dire. D’abord, sur la perte d’humanité et de rationalité qui semble frapper nos chers observateurs médiatiques, et une partie de la population, ensuite sur la question militaire en France qui me semble très mal traitée.

 

I. La guerre en Ukraine peut-elle nous rendre cons ?

 

Depuis le début de la guerre, j’ai cette question qui me trotte dans la tête. Se prononcer sur la guerre en Ukraine dans les médias mainstream priverait-il les commentateurs d’une partie de leur organe cérébral ?

 

A/ Tout d’abord, il y a les adeptes du fantasme. Ceux qui imaginent un Poutine vieillissant, cancéreux et atteint de trente maladies différentes. Ceux-là même qui vont l’avancer comme un danger implacable. Bien sûr, il n’est pas exclu que Poutine tombe malade. Mais ces affirmations n’avaient pour intérêt unique que la poursuite d’un narratif, et pas celle de la vérité. Ce qui est plutôt dommage pour des journalistes.

 

B/ Le degré suivant, c’est celui qui perd tout sens de la réalité. À fréquence régulière, certains viennent annoncer la défaite prochaine de la Russie, la remontée incroyable de l’Ukraine, et la victoire de la démocratie et du monde libre sur les méchants. La vérité, c’est que c’est une guerre qui s’enlise, et qui tient encore grâce aux injections européennes et américaines. On fera remarquer que la Russie ne s’avoue toujours pas vaincue malgré le soutien occidental à la limite de la co-belligérance apporté à leur adversaire. Cela ne l’empêche pas de subir de plein fouet les affres d’un conflit qui s’éternise, certes. Il est d’ailleurs bien naïf de penser que la Russie survolerait cette guerre et qu’elle serait une franche réussite.

 

C/ Toujours dans la négation de la réalité, on atteint parfois le degré juste au-dessus avec la négation non seulement naïve, mais surtout dangereuse. Et c’est là qu’on aborde enfin un sujet important. Il existe un monde où la Russie déciderait d’arrêter la guerre, ruinée par les sanctions et abandonnée de tous. Mais ce monde-là n’existe certainement pas dans notre dimension à nous.

Tout d’abord, les sanctions étaient censées mettre la Russie à genou. Qu’il y ait eu des conséquences négatives sur l’économie russe est logique, mais à quel point ces conséquences ont-elles affecté l’économie russe dans son ensemble ? De même, quand on sait que les occidentaux consomment encore des hydrocarbures russes mais qui ont transité via des pays-tampons (à l’instar de l’Inde), peut-on encore se dire sérieusement que ces sanctions ont un quelconque intérêt ?

S’il ne s’agissait que de mener une guerre économique contre la Russie, à la limite, ces affirmations seraient aussi à reléguer au niveau du simple fantasme. Mais le problème, c’est qu’il y a des conséquences autrement plus négatives pour les pays européens. Les partenariats français avec la Russie en matière d’industrie n’étaient pas négligeables. La perte du marché russe aura fragilisé notre économie. Pendant ce temps-là chez eux, le seul problème qui les guette à terme apparaît être la pénurie de main d’œuvre : leur économie est florissante et le chômage au plus bas.

Il en est de même avec l’Allemagne, qui s’enfonce de plus en plus tête baissée dans le narratif atlantiste. Pour elle, les sanctions sont d’autant plus catastrophiques que leurs dirigeants semblent en auto-pilotage depuis le début. Elle a perdu ses liens commerciaux sur le gaz, notamment via le projet Nordstream. ce n’est pas négligeable. D’ailleurs, à quel niveau de soumission et de transparence faut-il en être réduit pour ne pas avoir osé lever le temps sur le sabotage de Nordstream, sabotage qui ne bénéficiait ni à l’Allemagne, ni à la Russie ? Sur ce sujet, la Suède estime ne pas pouvoir donner l’identité des responsables. Une affirmation très crédible, je laisserai en juger.

Puisque je suis taquin, je tiens à préciser que les livraisons de gaz américains en Europe sont en augmentation conséquente depuis 2022. Un hasard sans doute. Gageons que les prix nous seront aussi bénéficiables que les tarifs du gaz russe jadis.

 

D/ L’échelle au-dessus tend à confondre bêtise et apathie belliqueuse. En effet, il est intégré de longue date qu’une guerre fait de nombreuses victimes. Aussi ai-je toujours trouvé très déplacé le fait d’encourager la guerre en question.

D’un point de vue purement factuel, toutes considérations politiques mises de côté, combien de vies auraient été sauvées si aucun équipement n’avait été envoyé à l’Ukraine, la laissant régler ce conflit avec la Russie dans son coin ?

Dans ce cas de figure, il est peu probable que la guerre eut continué bien longtemps. L’armistice aurait été signé et des milliers de vies épargnées. Il aurait été pertinent alors d’envoyer des observateurs de l’ONU et des casques bleus encadrer le désengagement russe d’une grande partie du territoire ukrainien.

Retour à la réalité. À quoi aboutissent les envois incessants d’armements ? L’armée russe est parfois ralentie. Elle subit de grosses pertes, notamment sur sa marine. L’Ukraine n’est pas encore envahie, très bien. Mais jusqu’à quand ? Certaines prévisions semblent indiquer une offensive russe massive en 2024. Bloquée sur les champs de bataille, la Russie l’est moins dans sa reconstitution logistique. Alors que les réserves européennes se vident et mettront des années à être refaites (ce qui pousse certains à encore plus plaider pour la protection de l’OTAN), la guerre se prolonge et draine vies et économies.

 

E/ Toujours sur ce point, non content d’encourager la guerre actuelle, le personnel médiatique et politique a même la fâcheuse tendance à encourager les guerres futures. Il y a presque une excitation à l’idée que le continent entier pourrait sombrer dans une troisième guerre mondiale. Encore récemment, Olaf Scholz en Allemagne appelait à se préparer à une économie de guerre. Que dire sinon de tous ces pays qui réfléchissent à la question d’une conscription et d’une attaque sur leur territoire ?

Et au milieu de tout ça, certains semblent jubiler à l’idée que tout le continent sombre dans le chaos. Non content d’encourager la co-belligérance aux côtés de l’Ukraine, quitte à prolonger toujours plus l’enlisement du conflit, voilà qu’une invasion russe de toute l’Europe apparaît crédible – cela dans la même dimension où cette armée russe subirait de sévères défaites et montrerait de larges faiblesses. La Russie est désignée comme un ennemi de la France, les Anglais s’imaginent déjà attaqués. Je n’aurai rien à redire si de telles idées étaient développées dans des rapports militaires top secret. Anticiper reste la clé de la souveraineté en matière militaire. Mais ces fantasmes malsains d’une troisième guerre mondiale Russie contre le reste du monde (comprendre ici, l’occident) s’étalent au grand jour, dans un contexte éditorial qui ne fait aucun mystère de son agenda. Ce qui me mène à la dernière étape de connerie atteinte sur ce conflit.

 

F/ Le racisme anti-russe en France, qui n’avait pas particulièrement dérangé les bonnes âmes de ce pays, aurait dû me faire comprendre le niveau d’inhumanité et de cynisme auquel se livraient certains dans les médias. Le conflit Russie-Ukraine semble n’être devenu qu’un match de foot, avec ses supporters dans chaque camp. On espère pas la fin du match, ni même la victoire de l’équipe ukrainienne. On espère du spectacle, du sang. On veut que l’équipe russe morde la poussière, subisse une cruelle défaite. Et si l’équipe ukrainienne rechigne à jouer les prolongations, pas de problème, on les encouragera à se battre au-delà de leurs forces et de ce que leur santé leur permet. Des soldats russes sont tués par un drone ukrainien ? On partage la vidéo, rit de ce cruel destin et se félicite. Un navire russe coulé en mer noire ? Génial, encore du sang, incroyable. Voilà le divertissement actuel offert par ce conflit : des gens qui meurent dans le camp d’en face.

 

Observations

 

À quel moment avions-nous décidé que le monde entier serait une arène et que la vie humaine n’aurait plus de valeur au prétexte qu’elle appartiendrait au camp ennemi ? Bien sûr, l’armée russe a violé, tué et pillé en Ukraine. Les néonazis de Wagner n’ont pas fait mieux, sinon pire. Cela nous donnerait-il le droit, nous, français, de nous réjouir de la mort d’autres êtres humains dans un tel charnier ?

 

D’ailleurs, au nom de quoi devrions-nous prendre nécessairement et sans réserve le parti de l’Ukraine ? Peut-on même aujourd’hui soulever ne serait-ce que cette question ?

Avons-nous voté une guerre contre la Russie au parlement ? Les territoires attaqués sont-ils français ?

Les seuls débordements au-delà des frontières ukrainiennes, on les connaît, c’est le sabotage de Nordstream. Je réitère mes doutes sur l’idée que les Russes y avaient intérêt.

Je n’ai pas envie de prendre un autre camp que celui de la paix. Je ne suis pas ukrainien, aucun devoir moral ne me force à faire comme si les intérêts ukrainiens étaient les miens. Je ne suis pas russe non plus. Aucun devoir moral ne me force à soutenir Poutine dans toutes ses actions (et si j’étais russe, je n’aurais pas plus ce devoir).

 

Quel est notre intérêt en tant que français, sinon que la guerre s’arrête avec toute cette folie ?

Certes, il apparaît plutôt dans l’ordre des choses que l’Ukraine perde ce conflit, cède des territoires à la Russie et s’avoue vaincue. Mais à quel prix pour les Russes ? La guerre a été très dure pour eux aussi, ce n’est pas une victoire éclatante. Pourrait-il vouloir nous envahir une fois le continent stabilisé ? À mon sens, ce serait extrêmement peu probable. Seule la Transnistrie pourrait encore être convoitée par la Russie, mais l’intérêt de déplacer l’armée russe jusqu’à Brest me paraît bien minime en comparaison d’une pacification des relations Russie – Europe.

 

Par conséquent, il est temps que ce conflit cesse d’être autant passionné. Il est temps de retrouver une discussion rationnelle, dans laquelle des désaccords et points de vue contradictoires ont le droit d’émerger. L’unanimité et l’homogénéité n’ont jamais été une exigence s’agissant des sujets politiques. Or, il apparaît que de nos jours, ne serait-ce que remettre en question les dernières livraisons d’armes ferait de nous des agents payés par Poutine.

Cette fausse morale est d’autant plus hypocrite qu’elle se prolonge parallèlement à la persistance d’autres conflits meurtriers à travers le globe. Les guerres en Palestine et au Yémen sont sans doute les deux autres conflits les plus importants de ces dernières années. On notera que sur ces sujets, les commentateurs ont déjà fait preuve de plus de retenues envers l’Arabie saoudite ou le gouvernement de Netanyahu.

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Aparté au sujet de Navalny Le décès de Navalny est intervenu pendant la rédaction de ce billet. Encore une fois, sans surprise, le traitement de sa mort pendant son enfermement laisse à désirer dans les médias et parmi nos politiques. Chacun ira de sa petite phrase laudative, son hommage passionné. On notera celui de notre ministre des Affaires étrangères qui trouvera pertinent d’adresser ses condoléances au peuple russe, prouvant une fois encore que le ridicule ne tue pas.

Le décès en détention de Navalny est bien entendu fort regrettable. Ses conditions d’emprisonnement étaient à n’en pas douter peu acceptables. De là à le traiter comme un héros et principal opposant à Poutine, dans un pays où le véritable opposant électoralement relève plus du communiste russe ou du nationaliste exacerbé, bon… Et Assange dans tout ça ? On en parle ?

 

II. Et la guerre dans tout ça ?

 

C’est bien gentil de fantasmer sur une potentielle troisième guerre mondiale. Mais la France a-t-elle encore les moyens d’en rêver ou de l’anticiper ?

 

À titre personnel, j’ai du mal à trouver crédible l’idée d’une intrusion russe sur le territoire français. Par les airs, les pays de l’Est se feront une joie de descendre les avions étrangers, par la mer, nul doute que la Finlande saurait apprécier cette opportunité. Tout ça, en occultant l’hypothèse malheureuse d’une riposte nucléaire.

Par souci d’honnêteté intellectuelle, il faut reconnaître une certaine hostilité de la part de la Russie à notre égard. Étonnamment, celle-ci a débuté depuis le conflit ukrainien, les sanctions européennes et la fourniture d’armes à Zeliensky. Sans doute un hasard ?

Pour toutes autres analyses plus détaillées et plus poussées sur le sujet de la Russie et de la guerre, je ne peux que conseiller la parole de Georges Kuzmanovic, objectivement l’un des meilleurs spécialistes en géopolitique russe actuellement. Mon soutien à sa ligne politique est subjectif et assumé, mais en matière de conflit russo-ukrainien, je pense qu’il a su prouver sa pertinence.

 

Quelles capacités actuellement ?

 

Notre soumission au narratif atlantiste témoigne d’une faible confiance en nos capacités militaires. Pas étonnant, y a de quoi s’inquiéter. Nous ne pourrions même pas tenir une semaine de conflit en termes de réserve de munitions. Était-ce pertinent de le révéler, voilà encore une autre question à se poser.

Cela dit, la souveraineté militaire française est devenue une blague. Le fait que l’Union européenne pousse à nouveau pour une Europe de la défense devrait nous alerter : nous n’avons plus la volonté politique suffisante pour appuyer de potentielles aspirations souverainistes en matière militaire. Pire encore, voilà que le partage de nos ogives nucléaires revient aussi sur la table. N’ayons pas peur des mots, un Français qui viendrait à proposer cette folie serait sur la première liste des condamnés pour haute trahison.

Il est cocasse de voir à quel point un tel double discours sournois puisse cohabiter dans la bouche de certains : la France serait trop faible seule et devrait donc chercher des alliances, ce qui impliquerait de facto de devoir encore plus s’affaiblir par les partages d’armées et de technologies militaires. Bien sûr, nous possédons aussi des atouts, et pas uniquement notre capacité nucléaire. Notre armée reste l’une des plus puissantes et formées du monde. Nos canons automoteurs Caesar font la fierté de notre industrie grâce à la guerre en Ukraine, rare point positif à tirer de tout ça. Cependant, pouvoir revendiquer ça pour se prétendre prêt à la guerre, c’est faire preuve d’un sacré optimisme.

 

À mon sens, il convient d’envisager la guerre sous tous ses aspects stratégiques. Je parle ici en tant que citoyen intéressé par la géopolitique, modérément renseigné sur les questions militaires. Pour fonder l’avis à venir, je me repose donc plus sur la logique que sur un panel de connaissances techniques.

Ainsi, il conviendra de prendre en compte :

* l’enjeu humain : combien d’hommes ayant intégré l’armée de métier ?

* l’approvisionnement : combien de munitions et de pièces de rechange avons-nous à portée ?

* l’énergie : sommes-nous souverains en carburant et électricité pour mener notre guerre ?

* l’artillerie : quelle capacité avons-nous pour pilonner les lignes ennemies ?

* la maîtrise aérienne : dans quelle mesure pouvons-nous rester souverains sur notre ciel ?

* la présence maritime : quelle puissance avons-nous une fois en mer ?

* les télécommunications : quel réseau et quelle capacité de déploiement avons-nous ?

* la résilience : comment encaisserions-nous les chocs et comment nous relèverions-nous ?

* la reconstruction : avons-nous planifié l’après-conflit pour rester un pays qui fonctionne ?

* la diplomatie : pouvons-nous éviter les guerres par notre expertise diplomatique ?

 

Dix enjeux, autant de questions sinon plus. Face à ces enjeux, combien d’entre eux pourraient poser problème à la France ? Le bilan à mon sens est désastreux, sans être radicalement négatif pour autant.

Enjeu humain : l’armée a toujours recruté, nul doute qu’une augmentation ne serait pas de refus. Néanmoins, je ne pense pas que ce soit une situation dramatique pour autant. Une chose est sûre, il serait inconscient de ne jurer que par le personnel combattant, oubliant l’importance du personnel administratif dans le fonctionnement d’une armée efficace.

Approvisionnement : catastrophique. Nos réserves de munitions ont fortement diminué, notre industrie n’est pas encore taillée pour un tel enjeu. Cyniquement, nous pouvons supposer comme le fit Jérémy Ferrari et d’autres que s’agissant des pièces de rechange, nous avons tous les tanks immobilisés qui sont déjà présents.

Energie : notre production d’électricité fut un modèle jadis. Concernant le carburant, la France compte des groupes pétroliers et des réserves. Sans info supplémentaire, je ne peux pas me prononcer, mais je pense que ce n’est pas là qu’il y a un problème majeur.

Artillerie : la guerre en Ukraine aura montré qu’elle a toujours sa place dans les conflits modernes. Le parc actuel est plutôt misérable pour un pays de notre taille. Nous gagnerions à relancer une forte production de chars et de blindés adaptés aux territoires français. Nos canons Caesar restent une valeur sûre sur laquelle nous devons aussi compter.

La maîtrise aérienne : voilà un point où la France est à mon avis prête. Peut-être faut-il espérer une plus grande flotte de drones, mais s’agissant de l’armée de l’air, notre puissance est toujours là. Il existe cependant un bémol de taille, qui anticipera le point suivant : nous n’avons pas assez de portes-avions. Cela limite notre capacité de déploiement. Pays réputé pour ses hélicoptères, je pense de même qu’une meilleure capacité de déploiement apportée à l’aviation légère de l’armée de terre ne serait pas de trop.

La présence maritime : sur le papier, la marine française n’est pas dans un état catastrophique. Ce n’est pas un enjeu sur lequel nous avons un retard considérable. Pour autant, nous sommes la deuxième puissance maritime en termes de taille, grâce à nos territoires ultra-marins. De ce fait, nous pouvons largement mieux faire et développer une véritable économie autour de la marine de guerre. Stratégiquement, cela permettrait aussi de revaloriser les territoires d’outre-mer.

Les télécommunications : la France est une des meilleures armées du monde notamment sur ce domaine. Au-delà de la question d’une meilleure capacité de déploiement, nous sommes dans la cour des grands. Un conflit sur notre territoire ne pourrait pas nous être désavantageux sur ce terrain-là.

La résilience : vu la capacité de nos dirigeants à penser au long terme et à reposer sur l’OTAN et l’UE, notre capacité de résilience est à mon avis bien nulle au niveau macro. Cela dit, au niveau des populations, mon avis sera plus mitigé. Prévoir les comportements en cas d’évacuations est difficile, anticiper la mobilisation générale relève de la pure imagination. Je profite de cette question pour rappeler que mobiliser la population n’a aujourd’hui que peu d’intérêt stratégique s’il s’agit de l’envoyer au casse-pipe. Il est bien plus pertinent de l’employer pour faire tourner le pays et la logistique derrière les lignes de front. L’armée professionnelle constitue un bras armé efficace dont l’action conjointe avec une armée de conscrits serait potentiellement une source de ralentissement et de moindre efficacité. Je tiens beaucoup à cette question parce qu’elle semble totalement occultée. Beaucoup ne raisonnent que par le « mourir pour la France », un peu réducteur, naïf et source de fantasme.

La reconstruction : gouverner, c’est prévoir. Réussir à mettre en place des mesures suffisamment efficaces pour se relever d’un conflit doit donc aussi faire partie des objectifs. Sur cet aspect-là, difficile de se prononcer, mais les lacunes dans tous les secteurs de l’économie font que la France risquerait bien d’obtenir une situation moins avantageuse qu’après la seconde guerre mondiale. Travailler sur sa souveraineté passe aussi par trouver les moyens de la conserver lorsqu’on est à terre.

La diplomatie : il est impératif de savoir anticiper une situation de conflit. Mais la véritable priorité réside dans la construction d’une paix durable en Europe et dans le monde. La France n’en est plus capable depuis longtemps. Notre corps diplomatique a été détruit, une grande partie de la classe politicienne s’est désintéressée de la géopolitique, et notre soumission à l’OTAN nous empêche de nous émanciper du narratif atlantiste. La France peine à encore être une puissance qui compte, si bien que notre siège permanent au Conseil des Nations Unis ou notre arsenal nucléaire commence à faire des envieux, y compris chez des gens de chez nous.

Certains partis se sont fait une spécialité de plomber la capacité de la France à s’élever en alternative à la bipolarisation du monde. Faut-il rappeler les manœuvres des socialistes comme Hollande pendant la guerre en Irak, venus s’excuser auprès des Américains pour notre absence de bellicisme ? Faut-il dès lors s’étonner devant les propos d’un Glucksman, digne hériter ?

 

Telle est donc notre situation aujourd’hui : incapable d’être un exemple d’indépendance diplomatique, on en vient à appeler à demi-mot à se préparer à la guerre, sans avoir les moyens de cette triste ambition. L’armée française est une excellente armée, mais certains chiffres montrent bien que sur la durée, les difficultés rencontrées pourraient être insurmontables.

 

Les européistes appellent à la formation d’une armée européenne. Il en est bien sûr hors de question. Ce genre de question, que l’on avait sorti par la porte du temps de De Gaulle, entend revenir par la fenêtre que nos eurobéats français auront laissé ouverte. Mais ne nous y trompons pas : une armée européenne ne pourrait qu’être soumise à l’OTAN, l’Union européenne étant bien trop parasitée par l’atlantisme. Jamais l’UE n’essayera d’être une troisième voie alternative aux USA et à la Russie, il n’y a pas d’illusion à avoir là-dessus. La pertinence d’une armée unique reposant sur 27 états et autant d’intérêts politiques divergents est par ailleurs à remettre en cause. Ses conséquences aussi sont à anticiper : partage évident des capacités nucléaires, dissolution progressive des états dans un futur ogre européen, et naissance d’une chimère qui n’aura rien résolu.

 

Il est de bon ton de parler de monde libre et de démocratie. Parmi ceux qui en sont adeptes, beaucoup plaident pour une France de moins en moins indépendante diplomatiquement, qui concourent à la rendre faible militairement, et qui entendent faire rentrer le narratif atlantiste sans tolérer de discussions ou remises en question. Ces gens-là ignorent de quoi ils parlent. Leur monde libre est fantasmé, leur démocratie une illusion.

 

Oui, il faudra se battre. Mais pas contre les Russes, pas plus contre les Américains. Il faudra se battre POUR la France, pour son indépendance, pour la paix, et une fois que tout le monde aura compris, pour un avenir fait de coopérations équitable entre nations et de respects mutuels

Analyse des programmes présidentiels de 2022

 

Grosse analyse incluant les douze programmes, elle est disponible avant tout sur PDF pour un meilleur confort de lecture:

Programme analyse 2022programme-analyse-2022.pdf (217.72 Ko)

 

Version blog pour les plus courageux à venir dès que possible (importation des tableaux plutôt complexe), attention, cela représente 40 pages au format PDF. 

 

 

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